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Patricia FEUGEY
(Guide conférencière)

Qu’en est-il de la réalité du bombardement de Beauvais

 en Juin 1940 ?

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Entre le 5 et le 8 juin 1940, le centre du Beauvais de l’époque a été détruit à plus de 50% par les bombardements allemands. Le 5 juin 9 bombes tombent sur le quartier de la préfecture, le centre-ville est touché, un avion vole même au ras de l’hôtel de ville. Le 6 juin, 6 bombes tombent sur la cathédrale. 1978 maisons sur 4250 sont totalement détruites et 250 sont inhabitables, 60 monuments classés sur 82 ont disparu.

Pourquoi donc la ville de Beauvais a-t-elle été si gravement détruite ?

Face à l’ampleur des dégâts, dès les premières heures, nombreux ont été ceux qui ont voulu apporter la raison exacte de tels bombardements. A ce jour encore, le sujet reste une question chez les Beauvaisiens qui continuent, soit à entretenir les explications officielles données et publiées durant la guerre, soit à s’interroger à juste titre.

A - LA VERSION OFFICIELLE 

- vue du côté français.

Elle est donnée rapidement par Maurice Brayet (conseiller municipal faisant office de maire durant cette période) dans un article de presse  intitulé « Réflexion sur le bombardement et l’incendie de 1940 » : Beauvais a été détruite par les Allemands par représailles.

Cinq ans plus tard, le même auteur écrit dans l’Oise Libérée : « Beauvais a-t-elle été martyrisée de par sa position entre Paris et la voie militaire au nord par une opération de terreur pour anéantir les éventuelles résistances ? Ou comme certains Allemands l’affirmeront plus tard : comme représailles au bombardement de Fribourg ? »    
Le 3 mai 1947 le Journal Libération confirme une nouvelle fois cette version par les mots suivants : « Un officier de la Kommandantur a déclaré publiquement que l’incendie de Beauvais avait été ordonné par l’Oberkommando de la Wehrmacht, l’OKW, en représailles d’un bombardement effectué par la RAF sur Fribourg. »

En 1990 Fernand Watteeuw reprend encore cette version dans son ouvrage « Beauvais et les Beauvaisiens des années 40 » : « Représailles ?: c’est la version la plus communément répandue par l’occupant dans les premiers temps de l’invasion : la petite ville allemande de Fribourg en Brisgau, ville sans défense et sans objectif militaire, d’après les Allemands aurait été bombardée par les avions français en mars ou mai 1940  et il y aurait eu de nombreuses victimes et des destructions importantes, d’où représailles. Beauvais devait payer pour Fribourg. »

- vue du côté allemand :

Le pasteur Hugo Wietholz, dans son autobiographie évoque la période militaire durant laquelle il séjourne brièvement à Beauvais : « Les Français ont du reste bombardé subitement Fribourg et c’est pour cette raison que Beauvais a été réduite en cendres. »
Les versions correspondent donc en France et en Allemagne. Beauvais a été détruite par vengeance du bombardement que les Français ont occasionné sur la ville allemande de Fribourg, située juste à la frontière.

B - LA RÉALITE DES FAITS

A 15 h 59, le 10 mai 1940 Fribourg est subitement bombardée : 69 bombes font perdre la vie à 57 personnes, dont 22 enfants entre 3 et 10 ans. Les sirènes hurlent. La presse allemande insiste sur un terrible bombardement provoqué par 3 avions ennemis. On dénonce cet acte comme un véritable meurtre.
 Qui d’autre que les Français ou les Anglais auraient pu bombarder Fribourg ? Les journaux allemands s’empressent de propager dans tout le Reich les informations données par les autorités nazies. Le Reich veut venger ce bombardement de la population civile et sans tarder les bombardements commencent donc sur les villes françaises et anglaises.
Après la guerre une toute autre interprétation des faits va petit à petit être colportée par Franz Hadler, ancien général en chef d’Hitler. Il murmure alors que le bombardement de Fribourg aurait été un faux bombardement ennemi. Le tout aurait été mis en scène directement par Hitler. Un peu plus tard Josef Kaummhuber, ancien inspecteur général de la Luftwaffe évoque le fait que l’on ne saura jamais avec une absolue certitude qui a fait tomber les bombes.
Pour les historiens militaires allemands Gerd R. Ueberschär et Wolfram Wette, il fallait résoudre cette énigme. Raison pour laquelle, ils ont
 cherché à comprendre dans les actes officiels pourquoi réellement la ville de Fribourg a été détruite. Pour eux, la faute s’explique par la nervosité de jeunes pilotes allemands frais émoulus. De là, toute une légende a été instaurée. Le ministre de la propagande allemande, Joseph Goebbels, a voulu couvrir, jusqu’à la fin de la guerre, le fait que de jeunes compagnons d’armes aient détruit partiellement la ville, par l’explication d’un bombardement ennemi. Les journaux, tels que le « Süddeutsche Zeitung » ou les « Baden-Würtenbergischen Blätter », évoquent à de multiples reprises le terme d’avions ennemis venant du sud-ouest et allant parfois jusqu’à mentionner les cocardes anglaises.

Ce qui s’est réellement passé :

Le 10 mai 1940, à 14 h 27 décollent de l’aéroport de Landsberg am Lech neuf avions bombardiers de type HE 111 appartenant au 8e escadron. Au dessus de la Forêt Noire le ciel est chargé de nuages d’orage. A une altitude de 1500 à 2000 m les pilotes perdent tout sens d’orientation et ne parviennent pas à distinguer leur but : les villes de Dijon et Dole-Tavaux. Les bombes tombent alors directement sur l’Allemagne en plein centre de Fribourg.
Lorsque Goering apprend cette erreur, il refuse de désavouer l’armée allemande, et s’empare de l’occasion pour justifier les bombardements qui suivront chez l’ennemi. Il ordonne que le silence soit tenu sur cette erreur stratégique. Goebbels de son côté écrit dans son journal de bord «  nous ne sommes pas encore certains de savoir si nous allons faire grand cas de ce fait. »
A partir de cet instant la presse parle de mesures de revanche. D’autres bombardements sont entrepris pour venger Fribourg. Fribourg était  donc devenue ville martyre et prétexte pour la propagande nazie concernant l’intensification des bombardements sur la France afin de rayer de la carte toutes les villes.
Cela démontre donc que Fribourg n’a pas été détruite par les Français puisqu’elle fut victime d’une erreur de visibilité de la part de jeunes pilotes allemands.
Il faut donc bien comprendre que tant les Allemands que les Français ont longtemps adhéré à la version selon laquelle Beauvais avait été bombardée en représailles du bombardement allié sur la ville de Fribourg. Les recherches actuelles menées par les Allemands démontrent  bien que cette thèse bien ancrée chez nous ne tient pas, car la destruction de Beauvais n’est pas la conséquence de la destruction de Fribourg par l’aviation alliée.

Alors, qu’en est-il réellement ?

Bibliographie française :

Livres :
- Brayet Maurice : Beauvais, ville martyre: trois mois de 1940, Beauvais, 1964, pp. 232.
- Fernand Watteeuw: Beauvais et les Beauvaisiens des années 90 : une ville sous occupation allemande, Gemob, 1980, pp.262
- Besse Jean-Pierre : Beauvais et la seconde guerre mondiale, in Beauvais, un siècle de vie, 1900 - 2000, p; 97-129, 2004. 
Autres ouvrages et articles :
- Comptes-rendus de Conseil Municipal de la ville de Beauvais, archives municipales de Beauvais- Article non daté, signé par Maurice Brayet, Réflexion sur le bombardement et l’incendie de juin 1940, nd, archives municipales
- Maurice Brayet : 5e anniversaire d’un crime allemand : l’incendie de Beauvais le 8 juin 1940, in L’Oise Libérée, 13/06/45
- Libération du 3 mai 1947

Bibliographie allemande :

Livres :
- Gerd R. Ueberschär und Wolfram Wette: Bomben und Legenden. Die schrittweise Aufklärung des Luftangriffs auf Freiburg am 10. Mai 1940, Rombach, Freiburg im Breisgau 1981, 210 pp.
- Gerd R. Ueberschär: Freiburg im Luftkrieg 1939–1945. Ploetz, Freiburg im Breisgau 1990, 
- Hugo Wietholz : Autobiographie des Diakons des Rauhen Hauses, Band 13 in das gelbe Reihe „Zeitung des Alltags“, Impressium Jürgen Ruszkowski, Hamburg, 2007, 59 pp.
Articles :
-Große Sache. In: Der Spiegel. Nr. 17, 1982, p 74 –77
- NS-Propaganda-Broschüre. Freiburgs Mutter klagen an (1940/41)

                                                                                                       Patricia FEUGEY
                                                                                                    (Guide conférencière)

 
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