Entre le 5 et le 8 juin 1940, le centre du Beauvais de l’époque a
été détruit à plus de 50% par les bombardements allemands. Le 5 juin
9 bombes tombent sur le quartier de la préfecture, le centre-ville
est touché, un avion vole même au ras de l’hôtel de ville. Le 6
juin, 6 bombes tombent sur la cathédrale. 1978 maisons sur 4250 sont
totalement détruites et 250 sont inhabitables, 60 monuments classés
sur 82 ont disparu.
Pourquoi donc la ville de Beauvais a-t-elle été si gravement
détruite ?
Face à l’ampleur des dégâts, dès les premières heures, nombreux ont
été ceux qui ont voulu apporter la raison exacte de tels
bombardements. A ce jour encore, le sujet reste une question chez
les Beauvaisiens qui continuent, soit à entretenir les explications
officielles données et publiées durant la guerre, soit à
s’interroger à juste titre.
A -
LA
VERSION OFFICIELLE
-
vue du côté français.
Elle
est donnée rapidement par Maurice Brayet (conseiller municipal
faisant office de maire durant cette période) dans un article de
presse intitulé « Réflexion sur le bombardement et
l’incendie de 1940 » : Beauvais a été détruite par les Allemands par représailles.
Cinq
ans plus tard, le même auteur écrit dans l’Oise Libérée : « Beauvais
a-t-elle été martyrisée de par sa position
entre
Paris et la voie militaire au nord par une opération de terreur pour
anéantir les éventuelles résistances ? Ou comme certains Allemands
l’affirmeront plus tard : comme représailles au bombardement de
Fribourg ? »
Le 3 mai 1947 le Journal Libération confirme une nouvelle fois cette
version par les mots suivants : « Un officier de la Kommandantur
a déclaré publiquement que l’incendie de Beauvais avait été ordonné
par l’Oberkommando de la Wehrmacht, l’OKW, en représailles d’un
bombardement effectué par la RAF sur Fribourg. »
En 1990 Fernand Watteeuw reprend encore cette version dans son
ouvrage « Beauvais et les Beauvaisiens des années 40 » : « Représailles ?:
c’est la version la plus communément répandue par l’occupant dans
les premiers temps de l’invasion : la petite ville allemande de
Fribourg en Brisgau, ville sans défense et sans objectif militaire,
d’après les Allemands aurait été bombardée par les avions français
en mars ou mai 1940 et il y aurait eu de nombreuses victimes et des
destructions importantes, d’où représailles. Beauvais devait payer
pour Fribourg. »
-
vue du côté allemand :
Le pasteur Hugo Wietholz, dans son autobiographie évoque la période
militaire durant laquelle il séjourne brièvement à Beauvais : « Les
Français ont du reste bombardé subitement Fribourg et c’est pour
cette raison que Beauvais a été réduite en cendres. »
Les
versions correspondent donc en France et en Allemagne. Beauvais a
été détruite par vengeance du bombardement que les Français ont
occasionné sur la ville allemande de Fribourg, située juste à la
frontière.
B -
LA RÉALITE DES FAITS
A 15 h
59, le 10 mai 1940 Fribourg est subitement bombardée : 69 bombes
font perdre la vie à 57 personnes, dont 22 enfants entre 3 et 10
ans. Les sirènes hurlent. La presse allemande insiste sur un
terrible bombardement provoqué par 3 avions ennemis. On dénonce cet
acte comme un véritable meurtre.
Qui d’autre que les Français ou les Anglais auraient pu bombarder
Fribourg ? Les journaux allemands s’empressent de propager dans tout
le Reich les informations données par les autorités nazies. Le Reich
veut venger ce bombardement de la population civile et sans tarder
les bombardements commencent donc sur les villes françaises et
anglaises.
Après la guerre une toute autre interprétation des faits va petit à
petit être colportée par Franz Hadler, ancien général en chef
d’Hitler. Il murmure alors que le bombardement de Fribourg aurait
été un faux bombardement ennemi. Le tout aurait été mis en scène
directement par Hitler.
Un peu plus tard Josef Kaummhuber, ancien inspecteur général de la
Luftwaffe évoque le fait que l’on ne saura jamais avec une absolue
certitude qui a fait tomber les bombes.
Pour les historiens militaires allemands Gerd R. Ueberschär et
Wolfram Wette, il fallait résoudre cette énigme. Raison pour
laquelle, ils ont
cherché
à comprendre dans les actes officiels pourquoi réellement la ville
de Fribourg a été détruite. Pour eux, la faute s’explique par la
nervosité de jeunes pilotes allemands frais émoulus. De là, toute
une légende a été instaurée. Le ministre de la propagande allemande,
Joseph Goebbels, a voulu couvrir, jusqu’à la fin de la guerre, le
fait que de jeunes compagnons d’armes aient détruit partiellement la
ville, par l’explication d’un bombardement ennemi. Les journaux,
tels que le « Süddeutsche Zeitung » ou les « Baden-Würtenbergischen
Blätter », évoquent à de multiples reprises le terme d’avions
ennemis venant du sud-ouest et allant parfois jusqu’à mentionner les
cocardes anglaises.
Ce qui s’est réellement
passé :
Le 10
mai 1940, à 14 h 27 décollent de l’aéroport de Landsberg am Lech
neuf avions bombardiers de type HE 111 appartenant au 8e
escadron. Au dessus de la Forêt Noire le ciel est chargé de nuages
d’orage. A une altitude de 1500 à 2000 m les pilotes perdent tout
sens d’orientation et ne parviennent pas à distinguer leur but : les
villes de Dijon et Dole-Tavaux. Les bombes tombent alors directement
sur l’Allemagne en plein centre de Fribourg.
Lorsque Goering apprend cette erreur, il refuse de désavouer l’armée
allemande, et s’empare de l’occasion pour justifier les
bombardements qui suivront chez l’ennemi.
Il ordonne que le silence soit tenu
sur cette erreur stratégique. Goebbels de son côté écrit dans son
journal de bord « nous ne
sommes pas encore certains de savoir si nous allons faire grand cas
de ce fait. »
A
partir de cet instant la presse parle de mesures de revanche.
D’autres bombardements sont entrepris pour venger Fribourg. Fribourg
était donc devenue ville martyre et prétexte pour la propagande
nazie concernant l’intensification des bombardements sur la France
afin de rayer de la carte toutes les villes.
Cela démontre donc que Fribourg n’a pas été détruite par les
Français puisqu’elle fut victime d’une erreur de visibilité de la
part de jeunes pilotes allemands.
Il faut donc bien comprendre que tant les Allemands que les Français
ont longtemps adhéré à la version selon laquelle Beauvais avait été
bombardée en représailles du bombardement allié sur la ville de
Fribourg. Les recherches actuelles menées par les Allemands
démontrent bien que cette thèse bien ancrée chez nous ne tient pas,
car la destruction de Beauvais n’est pas la conséquence de la
destruction de Fribourg par l’aviation alliée.
Alors,
qu’en est-il réellement ?
Bibliographie française :
Livres :
- Brayet Maurice : Beauvais, ville martyre: trois mois de 1940,
Beauvais, 1964, pp. 232.
- Fernand Watteeuw:
Beauvais et les Beauvaisiens des années 90 : une ville sous
occupation allemande, Gemob, 1980, pp.262
- Besse
Jean-Pierre : Beauvais et la seconde guerre mondiale, in
Beauvais, un siècle de vie, 1900 - 2000, p; 97-129, 2004.
Autres
ouvrages et articles :
- Comptes-rendus de Conseil Municipal de la ville de Beauvais,
archives municipales de Beauvais- Article non daté, signé par
Maurice Brayet, Réflexion sur le bombardement et l’incendie de
juin 1940, nd, archives municipales
- Maurice Brayet : 5e anniversaire d’un crime
allemand : l’incendie de Beauvais le 8 juin 1940, in L’Oise
Libérée, 13/06/45
- Libération du 3 mai 1947
Bibliographie allemande :
Livres
:
- Gerd R. Ueberschär und Wolfram Wette: Bomben
und Legenden. Die schrittweise Aufklärung des Luftangriffs auf
Freiburg am 10. Mai 1940, Rombach, Freiburg im Breisgau 1981, 210
pp.
- Gerd R. Ueberschär: Freiburg
im Luftkrieg 1939–1945. Ploetz, Freiburg im Breisgau 1990,
- Hugo Wietholz : Autobiographie des Diakons des Rauhen Hauses,
Band 13 in das gelbe Reihe „Zeitung des Alltags“, Impressium
Jürgen Ruszkowski, Hamburg, 2007, 59 pp.
Articles
:
-Große Sache. In: Der
Spiegel. Nr.
17, 1982,
p 74 –77
-
NS-Propaganda-Broschüre.
Freiburgs Mutter klagen an (1940/41)
Patricia FEUGEY
(Guide conférencière)
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